Comme quoi, vous pouvez investir dans des programmes de « développement » et vous retrouver le bec dans l’eau parce que des « éléments externes » vous l’imposent. C’est ce qui se produit à San Luis, petite communauté indigène Shawis vivant au bord du Río Paranapura, un affluent de l’Amazone, près de la petite ville de Yurimaguas en Amazonie péruvienne.
Ici, il y a plus d’une dizaine d’années, pour répondre aux besoins exprimés par six organisations communautaires, on a construit un centre de formation. Dans quelques mois, celui-ci va disparaitre. Alors qu’il était loin du fleuve lors de sa construction, le centre ne s’en retrouve actuellement plus qu’à quelques dizaines de mètres. Et chaque mois qui passe le rapproche inéluctablement des eaux.
Pour Eder et Teresa, qui travaillent pour les communautés de la zone, le constat est sans appel. Le centre va disparaitre à cause du réchauffement climatique. Depuis plusieurs années, ils constatent que les périodes de sécheresses et de pluies sont plus intenses. Les pluies sont plus fortes et les rivières ont des débits plus forts, ce qui ravage les berges. En témoigne le nombre d’arbres « mangés » par la rivière et la disparition d’habitations ou d’une école en aval du centre de formation.
Déforestation galopante
La région est confrontée à de multiples problèmes. La déforestation en est un des principaux. Au Pérou, elle est responsable de près de 50% des émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment parce qu’il y moins d’arbres pour absorber le CO2. Le temps nécessaire pour regarder un match de foot (90 minutes) et c’est l’équivalent de 43 terrains de foot qui sont déboisés, dont 90 % illégalement, souvent via des mafias locales actives dans le trafic de bois exotiques.
Mais que la déforestation soit légale ou illégale, elle met les communautés locales dans des situations difficiles. L’Etat donne en concession des milliers d’hectares à des entreprises de production agroalimentaires, pétrolières, minières ou de commercialisation du bois. Dans le pays, 70% des terres sont déjà « données en concessions ». D’autre part, certains petits producteurs, qui ne s’en sortent plus, finissent par louer leurs terres pour quelques années à des « colons » venus des villes ou de la Sierra. Le temps nécessaire à ceux-ci pour amplifier le défrichage, les brulis, la mécanisation et l’utilisation d’intrants chimiques sur les sols. Quelques années après, ils quittent la zone, laissant ces terres fragilisées, épuisées et polluées.
La responsabilité de l’Etat
L’Etat participe également à la déstructuration sociale de la zone. A proximité de San Luis, un projet de ligne à haute tension est en construction. Il va générer dans la forêt une allée de 100 mètres de large sur plusieurs centaines de kilomètres. « Cela va affecter la forêt, la biodiversité et favoriser l’arrivée des colons, explique Eder. Le gouvernement a promis une consultation qui permettrait aux communautés concernées de faire leurs choix en connaissance de cause, mais il ne le fait pas. Il promet que les communautés bénéficieront de cette électricité, mais ce ne sera pas le cas ».
Autre exemple : les autorités ont présenté la possibilité de faire des forages pour des puits de pétrole et tente d’en montrer les avantages. Mais la population en a vu les conséquences dans d’autres zones : pollution, non respects des engagements, déstructuration des communautés…. Elle s’y est opposée. « Avant on pensait notre environnement illimité, nous dit Eder. Aujourd’hui on veut récupérer nos terres et nos modes de vies ».
Des citoyens de seconde zone
L’exode rural et le manque d’accès aux services publics restent des problèmes rencontrés par les communautés, surtout chez les jeunes. L’Etat a tendance à privilégier les zones les plus densément peuplées. Ce qui apparait comme une évidence est ressenti comme une injustice par les communautés éloignées.
Pour avoir accès à de l’eau potable, il faut une quantité minimum de population pour procéder aux travaux d’assainissement. « C’est comme si nous n’avions pas le mêmes droits que les autres Péruviens », déplore Eder. Idem pour les postes de santé : ils sont centralisés dans certaines zones. En cas d’absence du personnel, il faut parfois attendre des heures pour être soigné. Or, pour Teresa, si on formait des promoteurs de santé dans les villages, cela permettrait au moins de donner les premiers soins. Face à cet isolement des communautés, de difficulté d’accès aux technologies, de manque de perspectives pour les jeunes, ceux-ci vont tenter leur chance en ville, quitte à s’y perdre.
Les communautés ne se laissent pas abattre
Mais les communautés ont décidé de réagir. Avec l’appui de MATM et l’Opération 11.11.11, le long du Río Paranapura et de ses affluents, les communautés se sont organisées en six associations de gestion et développement du Paranapura (AGDP), qui se sont ensuite regroupées en une fédération. Au départ, le projet proposait des formations de leaders et le développement de marchés pour la vente de leurs productions. Comme cela fonctionnait bien, ils ont augmenté l’offre de formations, cette fois accessible à tous les membres des communautés.
Formations en mécanique, en couture, en menuiserie ou encore en production agro-écologique. Plusieurs femmes ont suivi cette dernière formation. Elles diversifient ainsi leurs productions, d’abord pour assurer une nourriture de base de qualité à leur famille et ensuite pour développer des micro-projets de transformation alimentaire, comme par exemple la confection de marmelades à partir de cacao et de fruits exotiques, qu’elles espèrent pouvoir vendre.
Certaines femmes ont été confrontées aux réticences de leurs maris lors de la participation aux formations. Mais les résultats concrets venant, les réticences se sont peu à peu levées. Cependant la fédération veut s’inscrire dans une réflexion encore plus large, à plus long terme, basée sur le respect de la nature et le Buen vivir ; d’où la nécessité d’élaboration d’un plan de propositions impulsé par la fédération qui reprend différentes demandes en termes d’éducation, de formation, de santé, d’assainissement, de production et transformation agricole et alimentaire [1]. Ces demandes seront proposées et défendues face aux autorités politiques par l’ensemble des associations. « On est optimiste, nous dit Mardon Carballo, président de la fédération, on a un bon projet car certaines autres organisations et autorités s’inspirent de nos propositions. »