Décodage de l’évolution de l’aide au développement internationale
Une augmentation globale à relativiser
Comme chaque année en avril, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vient de publier les statistiques de l’aide publique au développement mondiale. Cet article en résume les aspects les plus intéressants : à combien s’élève-t-elle au total ? Qui donne le plus ? Que comptabilise-t-on comme de l’aide au développement ? Et pourquoi faut-il y regarder de plus près ? Décodage…
Augmentation de l’aide internationale…
C’est officiel : selon les dernières statistiques de l’OCDE, l’aide au développement
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en 2023 a atteint un nouveau niveau record de 224 milliards USD, traduisant une augmentation de 1,8% par rapport à 2022. C’est la cinquième année consécutive que l’aide internationale augmente. Son montant total pour 2023 est donc en hausse d’un tiers par rapport aux niveaux de 2019 (avant la pandémie de Covid-19
Covid-19
Coronavirus
covid-19
coronavirus
et la guerre en Ukraine).
Le plus grand pays donateur en volume reste les Etats-Unis, qui sont responsables de 30% de toute l’aide internationale. Ils sont suivis de l’Allemagne, du Japon, du Royaume-Uni et de la France. En pourcentage des richesses par contre, c’est la Norvège qui tient la première place, puisqu’elle consacre plus de 1% de son revenu national brut (RNB) à l’aide au développement (1,09%). Suivent le Luxembourg (0,99%), la Suède (0,91%), l’Allemagne (0,79%) et le Danemark (0,74%).
… A relativiser
Ces bonnes nouvelles sont cependant à nuancer. Premièrement, lorsqu’on calcule l’aide au développement en pourcentage des richesses, les pays donateurs n’ont consacré que 0,37% de leur RNB à l’aide au développement en 2023, pour la deuxième année consécutive. Le total de l’aide internationale reste donc bien en-dessous de l’engagement des pays riches aux Nations Unies de 0,7% du RNB pour l’APD, pris il y a plus de 50 ans. Cinq pays seulement ont dépassé cet objectif : Norvège, Luxembourg, Suède, Allemagne et Danemark.
Deuxième raison de relativiser l’augmentation de l’aide internationale en 2023 : elle est en grande partie due au soutien à un seul pays, l’Ukraine. En effet, l’aide à l’Ukraine a augmenté de 9% en 2023, pour atteindre 20 milliards USD, dont 3,2 milliards USD d’aide humanitaire. L’OCDE le dit clairement : « Dans l’histoire de l’aide publique au développement, le volume alloué à l’Ukraine est le plus important jamais accordé à un seul pays en une seule année. » En effet, cette aide représente 9% de toute l’aide internationale, et la moitié de toute l’aide allouée au continent africain (42 milliards USD). Certes, l’aide vers l’Afrique a augmenté elle aussi en 2023, mais seulement de 2% par rapport à 2022, année où elle avait chuté de 11%. Elle n’a donc toujours pas retrouvé son niveau de 2020. De même, située à 37 milliards USD, l’aide allouée aux pays dits « les moins avancés » (pays dont les indices de développement humain sont les plus faibles au monde) a augmenté de 3% en 2023, après une diminution de 6% l’année d’avant. Or si l’aide à l’Ukraine est indispensable, elle l’est tout autant pour les pays les plus pauvres du monde. Carston Staur, Président du Comité d’aide au développement de l’OCDE, l’a dit lui-même : « À l’avenir, les donateurs devront intensifier leur soutien aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables, en particulier les pays les moins avancés et d’Afrique subsaharienne. »
Troisième raison de relativiser l’augmentation de l’aide internationale : le fait qu’elle soit due à la hausse de l’aide humanitaire d’urgence. Celle-ci a augmenté de 5% en 2023, pour atteindre un total de 26 milliards USD. Plus globalement, depuis 2019, l’aide humanitaire a augmenté de 37% (passant de 18 milliards USD à 25 milliards USD). Certes, l’OCDE rappelle qu’elle est restée à environ 11% de l’aide totale depuis 2019, mais le graphique ci-dessous montre bien comme sa proportion a augmenté depuis les années 2000. Or si l’aide humanitaire est indispensable, l’aide structurelle au développement doit rester beaucoup plus importante, puisqu’elle œuvre à renforcer la résilience et justement à prévenir les causes profondes de crises humanitaires successives.
Enfin, quatrième raison de relativiser l’augmentation de l’aide internationale : elle comprend des financements qui n’en sont pas réellement. Par exemple, selon les règles de l’OCDE, les pays donateurs ont le droit de comptabiliser les frais d’accueil de réfugiés comme de l’aide au développement. Ceci est contesté par les organisations de la société civile, car ces financements, aussi nécessaires soient-ils, sont dépensés sur le territoire du pays donateur et n’ont pas pour objectif premier le développement de pays du Sud. Or ces frais d’accueil de personnes en demande d’asile comptabilisés comme de l’aide ont augmenté de 184% depuis 2019, passant de 10 à 29 milliards USD. Et s’ils ont diminué de 6% en 2023, ils représentaient toujours 14% de l’aide totale (contre 15% en 2022). Pour sept pays, le coût des réfugiés sur leur territoire représentait encore plus d’un quart de leur aide au développement.
L’aide au niveau européen
L’Europe mobilise une grande part de l’aide internationale : la part apportée par les pays membres de l’Union européenne (UE) dans le total de l’aide mondiale s’est établie à 42% en 2023. Néanmoins, cette aide des pays donateurs membres de l’UE a diminué de 8% entre 2022 et 2023, s’élevant à 93 milliards USD. Elle ne représentait donc que 0,52% de leur revenu national brut combiné.
Cette diminution est en grande partie due à celle des frais d’accueil des réfugiés ukrainiens, qui avaient fortement augmenté en 2022. Ces frais représentaient pourtant encore 17% de l’aide européenne en 2023. Dans certains pays, ils expliquent la forte fluctuation de l’aide au développement : celle-ci a diminué en République tchèque, en Pologne et en Estonie de 34%, 37% et 51% respectivement en 2023.
Cela contraste avec l’aide des Institutions européennes, qui connaît une augmentation de 10% en 2023, due en grande partie au soutien à l’Ukraine. Résultat : plus de la moitié (54%) de l’aide des Institutions européennes est allée à l’Ukraine.
L’aide de la Belgique
De son côté, la Belgique a vu son aide stagner à 2,8 milliards USD. Alors qu’elle ne consacrait déjà que 0,45% de son RNB à l’aide au développement en 2022, cette proportion a diminué en 2023, passant à 0,44%. Notre pays reste donc sous la moyenne européenne, et s’est même éloigné de l’objectif international de 0,7%. Il est aussi entouré de pays voisins qui obtiennent tous de meilleurs scores : Allemagne (0,79%), France (0,50%), Luxembourg (0,99%), Pays-Bas (0,66%). La Belgique se situe dorénavant à la 13e place des donateurs au niveau international en pourcentage du RNB, et à la 16e place en termes nominaux.
Une note positive tout de même pour la Belgique : comme en 2022, les frais d’accueil de réfugiés ukrainiens n’ont pas été comptabilisés comme de l’aide au développement au niveau fédéral. Seul bémol : la Belgique a continué de comptabiliser les frais d’accueil de réfugiés de toutes les autres nationalités. Ceux-ci représentaient encore 12% de l’aide belge en 2023, comme l’année précédente.
Investir dans la solidarité n’est pas un luxe, c’est une nécessité
En conclusion, bien que l’aide mondiale ait légèrement augmenté, elle a diminué au niveau européen, et la Belgique s’est éloignée de l’objectif de 0,7%. Nous sommes pourtant encore très loin de réaliser les Objectifs de développement durable
Objectifs de Développement Durable
Objectifs de développement durable
ODD
SDG
Les objectifs de développement durable (ODD), adoptés en 2015, constituent le cadre de référence des Nations unies pour le développement international. Ils remplacent les 8 objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui se focalisaient sur les seuls symptômes sociaux de la pauvreté dans les pays en développement, sans en interroger les causes structurelles. Principaux changements ? Tous les pays sont concernés et les objectifs, désormais au nombre de 17, sont déclinés en 169 cibles précises. Les ODD sont donc, en bref, l’horizon que s’est fixé l’ONU pour un développement harmonieux.
Ce programme est ambitieux, puisqu’il vise à généraliser à l’ensemble du monde le développement économique et social, tout en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et l’utilisation des ressources naturelles. Une perspective illusoire sans une transition rapide et radicale vers de nouveaux modèles de développement, à la fois plus pauvres en carbone, moins gourmands en matières premières et plus équitablement répartis.
pour 2030. Face au fardeau de la dette qui ne fait que s’alourdir, les pays du Sud sont incapables de financer les réformes nécessaires au développement durable. Et comme l’ont montré les conséquences désastreuses de la pandémie de Covid-19, du dérèglement climatique ou de la guerre en Ukraine, nous vivons dans un monde qui n’a jamais été plus interconnecté. Nous nous devons d’investir dans la solidarité internationale pour construire un monde plus stable, juste et durable. Et si notre solidarité est forte vis-à-vis de l’Ukraine, elle doit l’être tout autant vis-à-vis des autres pays en développement – en particulier les pays à faible revenu.




