Europe – Amérique latine : vers un partenariat pour le développement durable
Le Sommet UE-CELAC de Santa Marta (novembre 2025) offre une occasion unique de refonder les relations entre l’Union européenne et l’Amérique latine sur des bases de justice sociale, de justice climatique et de démocratie. Le CNCD-11.11.11 appelle à un partenariat d’égal à égal, centré sur les droits humains, la durabilité et la participation réelle de la société civile.
En 2023, l’Union européenne (UE) a relancé ses relations avec la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) sur base de la publication de la communication conjointe « Un nouvel agenda pour les relations entre l’UE et l’Amérique latine et les Caraïbes » [1] , ainsi que de l’organisation du 3e sommet UE-CELAC, qui s’est tenu à Bruxelles en juin 2023 (une première depuis huit ans), dont une Déclaration [2] et une feuille de route 2023-2025 sont issues. En marge du Sommet, les organisations de la société civile (OSC) et autorités locales des deux régions ont elles aussi pu organiser un Forum.
La volonté d’organiser un sommet tous les deux ans fait qu’il revient à la Colombie, en tant que Présidente pro tempore de la CELAC, d’organiser le 4e sommet UE-CELAC, les 9 et 10 novembre 2025 à Santa Marta (Colombie). Selon l’UE, cet événement représente une opportunité de renforcer un « partenariat établi de longue date, qui est fondé sur des valeurs et des intérêts communs ainsi que sur des liens économiques, sociaux et culturels solides ». Le 9 avril 2025, l’UE a annoncé certaines de ses priorités pour le Sommet de Santa Marta : le commerce et l’investissement, les transitions écologique et numérique, la lutte commune contre la criminalité organisée, la corruption, le trafic de drogue et la traite des êtres humains. Du côté de la CELAC, la chancellerie colombienne, dans un communiqué du 4 octobre 2025, met en avant le « renouvellement des engagements, notamment sur la triple transition (énergétique, numérique et environnementale), l’autosuffisance sanitaire et l’accès équitable aux médicaments, l’agriculture durable et la sécurité alimentaire, l’égalité des sexes
égalité des sexes
égalité de genre
, ainsi que les droits des populations d’ascendance africaine et autochtones, entre autres thèmes ».
L’importance de l’Amérique latine devrait se refléter dans les stratégies et les politiques de la Commission européenne et de la Belgique pour les cinq prochaines années, notamment lors de l’exécution de la feuille de route 2025-2027 des relations UE-CELAC et lors de l’élaboration du prochain Cadre financier pluriannuel de l’UE (2027-2033). Le Parlement européen peut aussi jouer un rôle clé grâce à son travail législatif, son contrôle démocratique et sa diplomatie parlementaire.
Dans ce cadre, quatre thématiques principales devraient se retrouver dans la déclaration finale du Sommet officiel, mais aussi au cœur de l’agenda des relations bi-régionales.
Mettre en place un mécanisme permanent multipartite
Les OSC appellent à la création d’un mécanisme permanent multipartite dans lequel les différents acteurs disposeraient d’un espace commun auquel participeraient toutes les parties concernées. Ce mécanisme devrait être réellement inclusif, multi-acteurs, correctement financé, et être garant de transparence et d’horizontalité. Un rapport annuel d’évaluation des relations bi-régionales, avec la participation de la société civile pourrait voir le jour et éventuellement être débattu au sein du Parlement européen et des États membres.
Un agenda socio-environnemental entre les deux régions
Les économies des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes (ALC) se caractérisent par une forte dépendance aux exportations, notamment agricoles et extractives (ces dernières pouvant représenter jusqu’à 50 % des exportations de certains pays), qui exercent une forte pression sur les écosystèmes terrestres et marins de la région. Il est urgent de faire avancer un programme bi-régional qui favorise la décarbonation des économies, sans reproduire les pratiques extractivistes, ni porter atteinte aux droits des communautés locales. La règlementation de l’UE sur les matières premières critique (MPC) [3], qui a pour objectif de diversifier et de garantir l’approvisionnement de l’UE dans ce domaine, est insuffisante pour garantir le respect des normes sociales et environnementales normes sociales et environnementales . Il faut veiller à ce qu’elle ne contribue pas à aggraver les conflits socio-économiques et environnementaux en ALC.
Par exemple, dans le sud du Pérou andin, au sein du « corridor minier », les populations de la province d’Espinar sont confrontées à l’expansion de l’extraction minière, principalement de cuivre, par la multinationale suisse Glencore, qui bénéficie en partie de financements de banques de l’UE. Les impacts pour les populations locales sont énormes, en plus des menaces, de la répression brutale par la police des contestations pacifiques, des déplacements de communautés et des conflits, etc. Elles sont affectées par la pollution des cours d’eau par des métaux lourds, affectant gravement leur environnement et leur santé. Des études officielles réalisées entre 2010 et 2017 ont montré que plus de 700 personnes vivant dans la zone d’influence des mines présentent des niveaux chroniques de métaux toxiques (tels que le plomb, l’arsenic et le mercure) dans leur organisme en raison de leur exposition prolongée à ces substances, ce qui peut avoir un impact irréversible sur leur santé.
Pour atteindre un partenariat bi-régional qui s’ancre dans la perspective d’une transition juste, la Belgique et l’UE doivent promouvoir l’augmentation et la flexibilisation des ressources financières, en garantissant des emplois décents et en soutenant les efforts des gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes en matière d’annulation de la dette et de suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles. Elles doivent également promouvoir la mise en œuvre des Accords d’Escazú [4] et d’Aarhus en tant qu’instruments visant à accroître la transparence, l’accès à la justice et l’action collective.
Le Sommet de Santa Marta sera aussi une opportunité d’avancer vers l’adoption et la mise en route du « Bi-Regional Care Pact between Latin America and Europe », qui puisse réduire les inégalités notamment de genre dans les deux régions, et mettre les « soins » (care) au centre de l’agenda politique commun. Cela nécessite un soutien politique bi-régional accompagné d’un financement adéquat et pérenne. Mais il s’agit aussi de promouvoir et suivre la mise en œuvre du programme d’action extérieure féministe de l’UE (GAP III [5] et la Communication de l’UE “A Roadmap for Women’s Rights” [6]) pour la réalisation de l’égalité des genres, la garantie du droit à la santé des femmes, y compris la santé sexuelle et les droits sexuels et reproductifs. Et plus largement, développer des stratégies pour lutter contre la montée des discours haineux et de la désinformation, en particulier ceux qui encouragent la violence sexiste, le racisme, la xénophobie, les discours anti-LGTBQIA+, ou qui criminalisent les défenseurs, les migrants et les peuples autochtones.
Placer les droits humains et le renforcement de la démocratie au cœur des relations entre l’UE et l’ALC
Ces dernières années ont été marquées par une réduction de l’espace civique dans un grand nombre de pays [7] et, parallèlement à la restriction des libertés fondamentales, on a assisté à un affaiblissement constant des structures démocratiques et de la séparation des pouvoirs. Dans différents pays d’ALC, et dans une moindre mesure aussi d’Europe, on menace les OSC, on limite leurs accès aux financements, on légifère pour limiter leurs droits.
Ainsi, au Nicaragua, la loi 1040 sur les agents étrangers et la loi 977 sur le blanchiment d’argent obligent les organisations qui reçoivent des financements étrangers à s’enregistrer en tant qu’agents étrangers, les soumettant ainsi à des contrôles stricts et à des sanctions. Elles ont servi de base pour révoquer la personnalité juridique de plus de 5 500 ONG. De même, la loi 115 de 2022 confère au ministère de l’Intérieur le pouvoir de dissoudre des organisations sans preuve solide ni procédure judiciaire appropriée.
Lors du Sommet de Santa Marta, les États, les Institutions européennes et de la CELAC doivent réaffirmer qu’il n’y a pas de démocratie sans un espace civique ouvert, sûr et pluraliste. La liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de participation politique sont fondamentales pour la justice et l’inclusion. Il faut s’engager à défendre le droit de défendre les droits, face à la criminalisation des défenseurs, aux discours de haine et aux cadres juridiques restrictifs qui limitent injustement le financement et l’action des organisations de la société civile. Le droit international, le multilatéralisme et le renforcement de la démocratie doivent rester les piliers de la relation bi-régionale, ainsi que le dialogue politique régulier, transparent, participatif et sûr, qui implique activement la société civile, les défenseurs des droits humains, les médias indépendants et les personnes en exil. Il est urgent de mettre en œuvre ou renforcer des mécanismes efficaces et durables pour protéger les défenseurs des droits, de l’environnement et du territoire, en particulier les peuples autochtones et les communautés rurales, y compris leur protection, leur accès aux ressources et leur participation significative, pour leur garantir une consultation et remise d’avis libres, préalables, éclairés et contraignants dans toutes les délibérations et tous les projets économiques, commerciaux ou d’investissement de l’UE et de la Belgique susceptibles d’affecter leurs terres, territoires ou les ressources naturelles.
Une économie et des financements au service des personnes et de la planète
Dans le domaine de la coopération au développement, la principale offre de la Commission européenne est le programme d’investissement Global Gateway, dont l’approche stratégique vise à transformer les structures productives de la région. Cependant, se concentrer uniquement sur cet objectif pourrait négliger des aspects clés tels que l’élargissement de l’assiette fiscale, le financement de transitions justes et le maintien de la coopération traditionnelle. En outre, il est essentiel de garantir que les investissements privés respectent les normes sociales, du travail et environnementales fondamentales. L’initiative de l’UE, Global Gateway, suscite néanmoins diverses critiques. Notamment en termes de manque de transparence, de non-concertation avec la société civile et les parties prenantes des pays d’ALC, et en termes d’impacts potentiels sur les droits humains et l’environnement. Mais surtout, il s’agit de revoir et de réaffirmer la priorité de la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans les objectifs de l’IGG, afin qu’elle ne soit pas un outil servant à favoriser les investissements européens, principalement au profit de grandes entreprises.
Au Brésil, ces investissements posent question. En décembre 2024, des membres de la coordination brésilienne Agro é Fogo sont venus dénoncer à Bruxelles un éventuel financement de l’Union européenne à la société Grão-Pará Maranhão (GPM), dirigée par des hommes d’affaires portugais. En lien avec la compagnie ferroviaire allemande DB, cette société prévoit la construction d’un mégaprojet portuaire et ferroviaire dans la région brésilienne du Maranhão. Le projet vise à exporter des matières premières telles que le fer, le soja, le cuivre, et devrait occuper 87 % du territoire du quilombo de Vila Nova, sur l’île de Cajual (une zone de protection environnementale d’importance internationale), menaçant ainsi l’existence et le mode de vie traditionnel de la communauté. Le projet pourrait également affecter les communautés indigènes, de quilombo, d’agriculteurs et de pêcheurs de 22 municipalités. Le GPM négocie un financement auprès de l’Union européenne dans le cadre de l’initiative Global Gateway. Ce projet est réalisé sans consultation préalable des communautés affectées.
L’UE a signé ou est en voie de finaliser différents accords de commerce
commerce juste et durable
accords de commerce
(avec trois pays Andins, l’Amérique centrale, le Chili, le Mexique et le Mercosur). Il est indispensable que ces accords soient révisés pour en faire des outils au service des personnes et de l’environnement, notamment en garantissant un chapitre contraignant sur la durabilité, comprenant des mécanismes de dplainte et des sanction en cas de non-respect des clauses sociales, environnementales et relatives aux droits humains, et en conditionnant la signature et la ratification de tout accord à l’intégration d’un mécanisme de suivi de ces clauses. De même, l’UE devrait renoncer à l’intégration de la clause « Investment Court System » dans ses accords d’investissement, pour privilégier la mise en place d’un système de règlement des différends public, d’Etat à Etat, et centré sur les seules expropriations directes
Enfin, il s’agit d’inclure le débat sur la dette et la réforme des institutions financières internationales parmi les priorités des stratégies bi-régionales. Les négociations du prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (2027-2033) doivent refléter l’importance de l’ALC pour l’UE et ne pas laisser l’IGG être le seul outil de coopération.
Recommandations
Pour orienter les relations bi-régionales vers un « partenariat stratégique » réellement au service des populations, le CNCD-11.11.11 recommande aux autorités belges et de l’UE de :
- Inclure la société civile dans l’élaboration et le suivi des feuilles de route en amont des Sommets, intégrant des débats au Parlement européen, et mettre en place un mécanisme multipartite permanent pour suivre les processus de relations UE-CELAC ;
- Inclure la région ALC dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (2027-2033) ;
- Réorienter le programme Global Gateway comme un instrument de développement durable, axé sur les droits humains, environnementaux et le travail décent.
- Soutenir et assurer le suivi de l’adoption du « Bi-Regional Care Pact between Latin America and Europe » (tel que mentionné dans la déclaration [8] des coprésidents de l’Assemblée parlementaire euro-latino-américaine et dans l’engagement de Tlatelolco [9]).
- Rejeter le « paquet Omnibus » [10] de l’UE qui vise à affaiblir notamment la directive sur le devoir de vigilance devoir de vigilance des multinationales en matière de droits humains et d’autres législations en matière de durabilité, et qui empêche la promulgation de nouvelles lois pour protéger les droits humains et le climat.
- Réviser les modèles d’accords de commerce de l’UE avec l’ALC afin de garantir au moins un chapitre contraignant sur la durabilité, incluant un mécanisme de plainte et de sanction en cas de non-respect des clauses sociales, environnementales et des droits humains, et conditionnent la signature et la ratification de tout accord à l’existence d’un tel chapitre.
Pour en savoir +
- Rapport d’Oxfam, Counter Balance et Eurodad : À qui profite le « Global Gateway » ?, octobre 2024.
- EU LAT Network : Report on the state of civic space in Latin America : Guatemala, Honduras, El Salvador, Nicaragua, Peru, and Ecuador, January 2025.
- EU LAT Network : Policy paper : A Green and Fair Transition – For Whom ? An analysis from Latin America, février 2025.
[1] European Commission : . Joint communication to the European parliament and the Council. “A New Agenda for Relations between the EU and Latin America and the Caribbean”. 7 juin 2023.
[2] Council of the European Union. “Declaration of the EU-CELAC Summit 2023”. Brussels, 18 July 2023.
[3] Conseil européen. “Une législation de l’UE sur les matières premières critiques pour l’avenir des chaînes d’approvisionnement de l’UE”. 21 mars 2025.
[4] Stéphane Compère, “L’accord d’Escazú sera-t-il une avancée majeure pour le droit environnemental en Amérique latine ?”. 11 novembre 2022. www.cncd.be/Accord-UE-Mer....
[5] Commission européenne. “EU gender action plan (gap) iii – an ambitious agenda for gender equality and women’s empowerment in EU external action”. 5 novembre 2020.
[6] Commission européene. “A Roadmap for Women’s Rights”. 7 mars 2025.
[7] En Europe aussi : Parlement européen, REPORT on the shrinking space for civil society in Europe, 2 février 2022.
[8] Declaración de los Copresidentes de la Asamblea Parlamentaria Euro-Latinoamericana (EuroLat), Lima, 3 juin 2025.
[9] Tlatelolco commitment. A decade of action to achieve substantive gender equality and the care society. Déclaration de la XVIe Conférence régionale sur la femme en ALC du 12 au 15 août 2025.
[10] CNCD-11.11.11, Omnibus : la Commission européenne sacrifie le climat et les droits humains au nom de la compétitivité, 14 mai 2025.
