Communiqué de presse

L’UE publie sa première liste commune des pays tiers sûrs : un tournant dangereux pour le droit d’asile

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Ce 16 avril, la Commission européenne a proposé une liste commune de «  pays tiers sûrs »* qui une fois finalisée et adoptée par le Conseil et le Parlement européens sera applicable à l’ensemble des États membres. Une première dans l’histoire de la politique d’asile de l’Union. La Tunisie, le Maroc et l’Egypte y sont cités, suscitant de vives critiques de la part des organisations de défense des droits humains et du CNCD-11.11.11.

Auparavant, chaque Etat membre de l’UE disposait de sa liste nationale, permettant de traiter de façon accélérée les demandes d’asile en se basant sur le fait que ces pays sont sûrs et que les ressortissants de ces pays n’ont pas besoin de protection internationale. A l’avenir, une liste commune contraignante à l’ensemble des Etats membres sera intégrée dans le droit européen. L’UE prétend ainsi harmoniser ses politiques d’asile. En réalité, elle donne un blanc-seing aux Etats membres pour vider de sa substance le droit d’asile.

Selon Cécile Vanderstappen, chargée de plaidoyer sur la justice migratoire justice migratoire
migrations
au CNCD-11.11.11, « classer un pays comme “sûr”, c’est fermer les yeux sur la réalité. En Égypte, en Tunisie, au Maroc, les droits humains sont piétinés. Où est la “sûreté” dont parle l’Europe ? »

En adoptant cette liste commune, l’Union européenne prend le risque de banaliser les violations des droits humains dont les persécutions et les traitements inhumains et dégradants dans des pays tiers qualifiés à tort de « sûrs ».

Cette mesure s’inscrit dans une logique plus large d’externalisation et de durcissement des politiques migratoires, au mépris des engagements internationaux en matière de protection des personnes réfugiées. C’est également le cas avec le concept de « pays tiers sûrs » actuellement en cours de révision et qui vise ici à permettre aux Etats membres de renvoyer des personnes demandeuses d’asile dans des « pays tiers sûrs » pouvant traiter leur demande d’asile et leur accorder une protection si besoin. Il est également question de pouvoir renvoyer des personnes migrantes dans des « hubs de retours » dans ces mêmes pays tiers sûrs

Les listes de « pays tiers d’origine sûr » permettent aux Etats membres européens d’accélérer le traitement des demandes d’asile, partant du principe que les ressortissants de ces pays n’ont pas besoin de protection internationale. Cela diminue les garanties d’une procédure équitable et d’un examen de qualité des demandes de protection. La liste européenne sera finalisée d’ici le 12 juin 2025 et ajoutée au corpus législatif du Pacte UE sur la migration et l’asile récemment adopté en 2024.

Le concept de « pays tiers sûr » permet de renvoyer les demandeurs d’asile dans un pays tiers jugé « sûr » plutôt que de leur permettre de rester dans le pays où la demande a été déposée. Ce concept est envisagé dans le cadre de l’externalisation de la gestion des questions migratoires. Il est révisé actuellement au sein de la réforme de la Directive retour et de la mise en œuvre du Pacte UE sur la migration et l’asile dès 2026 (Règlement sur les procédures). Une liste de pays tiers sûrs sera également proposée par la Commission d’ici le 12 juin 2025.

L’Egypte n’est sûre ni pour les voix critiques du pouvoir, ni pour les personnes migrantes. La dernière élection présidentielle en décembre 2023 s’est tenue dans un climat de répression de l’opposition. De nombreux défenseurs des droits humains, avocats, journalistes continuent d’être arbitrairement emprisonnés. Les personnes migrantes, en particulier les Soudanais et Soudanaises qui sont 1,5 million à chercher un refuge en Egypte, font face à des nombreuses difficultés pour obtenir un droit de séjour. Elles risquent souvent d’être refoulées et vivent dans des conditions déplorables.

En Tunisie, le président Kais Saied a suspendu le parlement depuis le 25 juillet 2021, et gouverne depuis lors par décrets. Les attaques de plus en plus nombreuses contre la magistrature, la société civile, les médias démontrent en outre une véritable dérive autoritaire du pays. Le 21 février 2023, Kais Saied a prononcé un discours raciste qui entraine depuis lors répression et racisme contre les personnes afrodescendantes et les organisations qui les défendent. Les personnes migrantes d’origine sub-saharienne sont régulièrement déportées aux frontières par les autorités tunisiennes, et laissées à elles-mêmes dans le désert.

Au Maroc enfin, la liberté d’expression est particulièrement mise à mal. Journalistes, leaders des mouvements sociaux et autres voix critiques font régulièrement face à des arrestations arbitraires et des procès iniques destinés à les faire taire. Les droits des personnes migrantes sont également régulièrement bafoués : lenteur et lacunes de la politique d’asile, détentions et refoulements aux frontières. L’impunité prévaut encore pour le massacre des 37 migrants et migrantes qui avaient tenté de franchir la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Melilla le 24 juin 2022.

* Communiqué de presse de la Commission européenne, « Commission proposes to frontload elements of the Pact on Migration and Asylum as well as a first EU list of safe countries of origin », https://ec.europa.eu/comm..., 16 avril 2025.