L'urgence de réformer le FMI : illustration au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

© IMF Photo / Tom Brenner

Pendant des décennies, les programmes du Fonds monétaire international ont cherché à assurer la stabilité macroéconomique et financière, sans s’intéresser à l’amélioration des conditions de vie des populations. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les conditions de vie n’ont cessé de se détériorer, qui plus est avec les effets combinés de la pandémie, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et du dérèglement climatique. Une profonde réforme est urgente.

Onze ans après les révolutions du printemps arabe, le constat est décevant. La Syrie, la Libye et le Yémen ont été déchirés par des guerres sans fin, tandis que les droits des Palestiniennes et des Palestiniens continuent d’être violés par l’occupation israélienne.

D’autres pays sont en proie à des régimes irrespectueux des libertés et des droits humains. L’Égypte est désormais contrôlée par un régime répressif, tandis que le Maroc peine à trouver des réponses aux inégalités croissantes et fait taire les voix critiques. La Jordanie a également de plus en plus recours à la répression en raison de la faiblesse de ses perspectives économiques et sociales. Quant à la Tunisie, après dix ans de transition démocratique, le pays n’a pas tenu ses engagements car il a fait un pas de plus vers l’autoritarisme. Enfin, au Liban, la classe dirigeante clientéliste et corrompue semble incapable d’arrêter l’érosion de l’économie et la stabilité financière du pays.

Dans ce contexte, il est nécessaire de s’interroger sur les interventions des Institutions financières internationales dans la région au cours des dernières décennies, notamment du Fonds monétaire international (FMI).

Le néolibéralisme, une recette dysfonctionnelle

Dans les années 1970 et 1980, la plupart des pays de la région ont subi la pression des Institutions financières internationales, dont le FMI, pour adopter un modèle de développement néolibéral fondé sur les exportations et les investissements directs étrangers. Pour réduire leur déficit commercial, les pays non exportateurs de pétrole ont dû emprunter sur le marché international. Ces emprunts ont été assortis de conditionnalités du FMI sous la forme de programmes d’ajustement structurel [1] basés sur des mesures néolibérales, comme la réduction des dépenses publiques, la privatisation, la dévaluation de la monnaie, la hausse des taux d’intérêt et la libéralisation commerciale.

Ces conditionnalités, associées à diverses crises, ont déclenché une détérioration des conditions de vie. Selon la Banque mondiale, si 2,7% de la population [2] vivaient dans des conditions d’extrême pauvreté en 2011 [3], ce chiffre est passé de 3,8% à 7,2% entre 2015 et 2018 [4]. Le secteur informel, qui occupe une place significative [5], laisse les catégories sociales les plus défavorisées et la plupart des femmes sans aucune protection sociale ou juridique. C’est pourquoi les mesures d’austérité qui accompagnent les programmes du FMI les touchent davantage [6].

Des crises multiples sans remise en question des programmes du FMI

En outre, la région est l’une des plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique. Les symptômes sont visibles comme l’épuisement et la dégradation des écosystèmes côtiers, la hausse des températures, la baisse des rendements agricoles, la progression de la désertification, le stress hydrique et les pénuries d’eau [7]. Sans oublier les effets de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui peuvent se résumer en une aggravation de l’inflation, de la pauvreté et de la malnutrition, dans une région extrêmement dépendante des importations pour sa sécurité alimentaire.

Cependant, la détérioration des conditions de vie ne s’est pas traduite par une remise en question ou des changements significatifs dans les programmes mis en œuvre par le FMI, et ce alors que les révolutions de 2011 semblaient avoir fait prendre conscience au FMI de l’importance de la dimension sociale. Ainsi, en 2012, Christine Lagarde, alors directrice du FMI, avait déclaré que le Fonds avait tiré des leçons de ces événements : « Les chiffres ne disent pas tout et nous devons examiner précisément ce qui se cache derrière les chiffres. Qui bénéficie de la croissance ? Qui bénéficie des subventions ? Comment les fruits de la croissance sont-ils répartis dans un pays donné ? » [8]

Une région au bord du défaut de paiement

La dette est l’un des symptômes les plus apparents des crises qui frappent la région. Le Liban s’était déjà déclaré en défaut de paiement de sa dette en mars 2020, pour la première fois de son histoire, au moment où la pandémie de Covid-19 Covid-19
Coronavirus
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éclatait. Deux ans plus tard, la Tunisie est classée troisième pays présentant le plus haut risque de défaut, alors que l’Égypte arrive en cinquième position et le Maroc en dix-huitième position [9]. De nombreux autres pays de la région pourraient rejoindre cette liste en raison de la dépréciation de leur monnaie. Les pays endettés « auront probablement plus de mal à refinancer leur dette ou à émettre de nouveaux titres d’emprunt dans un contexte marqué par des conditions de financement plus strictes, les banques centrales du monde cherchant à contenir les anticipations inflationnistes » [10].

Le risque de défaut de paiement d’un pays est un critère pour comprendre sa situation économique mais aussi les conditions dans lesquelles vit sa population. En effet, dans un tel cas, cela signifie qu’un État n’a plus la capacité de payer ce qu’il doit à ses créanciers. Une des conséquences directes est que le pays est privé de ressources pour répondre aux besoins de sa population, comme au niveau de la santé ou de l’éducation. Il n’est ainsi plus en mesure de fournir les services publics essentiels. En outre, cela signifie qu’il ne peut plus emprunter et que des mesures d’austérité sont mises en place, touchant encore plus les populations les plus vulnérables et les classes moyennes et augmentant les inégalités. Lorsqu’on parle de défaut de paiement pour un pays, on doit ainsi comprendre que c’est tout un système qui fait défaut pour assurer des conditions de vie dignes à sa population.

Les commissions additionnelles aggravent encore la situation d’endettement

De plus, la politique de commissions additionnelles [11] du FMI a pour conséquence d’alourdir les montants que doivent débourser les États. Le FMI impose des frais supplémentaires aux pays endettés. En plus des paiements d’intérêts et des frais de service habituels, les pays doivent payer des commissions additionnelles qui dépendent du montant emprunté et de la durée de l’emprunt. Le FMI considère que ces commissions exercent un effet dissuasif sur l’utilisation prolongée du montant emprunté, mais il faut bien reconnaître que cette politique oblige les pays qui sont déjà confrontés à d’énormes difficultés à payer des montants supplémentaires importants [12]. Ainsi, pour l’année 2022, le paiement des cinq plus grands emprunteurs du FMI [13] (l’Argentine, l’Équateur, l’Égypte, le Pakistan et l’Ukraine) [14] s’élèvent à 2,7 milliards USD de ces frais (en plus des paiements de prêts). Ces frais sont d’autant plus surprenants que l’un des objectifs du financement du FMI est « de donner aux pays une marge de manœuvre suffisante pour leur permettre d’appliquer des politiques d’ajustement de manière ordonnée, et ainsi rétablir des conditions propices à une économie stable et à une croissance durable » [15].

De telles surcharges ne font qu’aggraver la situation, « exacerbant les effets dévastateurs sur les femmes et les filles » [16]. Elles sont également contre-productives car elles « sont prélevées sur les emprunteurs les moins à même de les supporter. Les surcharges augmentent les coûts d’emprunt, les taux d’intérêt avec surcharges étant deux à quatre fois plus élevés que le taux d’intérêt normal du FMI pour les emprunteurs, qui est d’environ 1 % » [17].

Cette politique de commissions additionnelles est dénoncée par certains pays comme l’Argentine et le Pakistan, qui ont fait pression pour qu’elle soit abandonnée ou que le FMI y renonce temporairement. Ceux-ci sont appuyés par la société civile internationale et en particulier la campagne mondiale d’action pour l’annulation de ces commissions [18]. Le 12 décembre 2022, le point a été discuté par le conseil d’administration du FMI, laissant la perspective d’un espoir de réforme. Mais celle-ci a été tuée dans l’œuf par, entre autres, les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse qui se sont opposés à tout changement. Leur argument ? Le FMI doit maintenir son modèle de financement du fait du contexte économique mondial [19]. Le FMI avait l’opportunité de montrer qu’effectivement les conditions de vie des populations concernées étaient prises en compte. Mais l’institution ne l’a pas saisie et n’a pas non plus précisé si une révision pourrait être considérée dans les prochains mois.

L‘espoir d’une réforme ?

Les programmes du FMI dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord n’ont pas été adaptés aux réalités des populations, malgré l’existence d’indicateurs qui montrent que leurs conditions de vie continuent de se détériorer. Cela ne devrait pas être une surprise : le néolibéralisme qui guide ces programmes (et leurs conditionnalités) n’a fait que se maintenir au fil des décennies, surtout pendant les crises, traduisant un entêtement à maintenir les vieilles recettes, alors que les études du FMI lui-même en montrent les limites.

Il est urgent de mettre en place des solutions à court et moyen terme. Dans l’immédiat, le FMI doit mettre fin à ses politiques de commissions additionnelles et de conditionnalités macroéconomiques et mieux prendre en compte la gouvernance des pays (état de droit, corruption, fiabilité des données utilisées) tout en accordant une attention particulière aux femmes et aux jeunes.

Cependant, il est nécessaire d’aller plus loin et de réformer cette institution afin de mettre en place des programmes qui garantissent la réalisation des Objectifs de développement durable Objectifs de Développement Durable
Objectifs de développement durable
ODD
SDG
Les objectifs de développement durable (ODD), adoptés en 2015, constituent le cadre de référence des Nations unies pour le développement international. Ils remplacent les 8 objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui se focalisaient sur les seuls symptômes sociaux de la pauvreté dans les pays en développement, sans en interroger les causes structurelles. Principaux changements ? Tous les pays sont concernés et les objectifs, désormais au nombre de 17, sont déclinés en 169 cibles précises. Les ODD sont donc, en bref, l’horizon que s’est fixé l’ONU pour un développement harmonieux.

Ce programme est ambitieux, puisqu’il vise à généraliser à l’ensemble du monde le développement économique et social, tout en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et l’utilisation des ressources naturelles. Une perspective illusoire sans une transition rapide et radicale vers de nouveaux modèles de développement, à la fois plus pauvres en carbone, moins gourmands en matières premières et plus équitablement répartis.
et des mécanismes de financement adaptés aux défis actuels et futurs. Il est urgent d’apporter une réponse véritablement multilatérale et systémique, impliquant tous les pays dans le processus de décision, afin de construire un monde juste et durable.

[1Politique économique imposée par le Fonds monétaire international (FMI) en contrepartie de l’octroi de nouveaux prêts ou de l’échelonnement d’anciens prêts. Ce type d’ajustement a pour finalité d’assurer que le pays pourra reprendre le service de sa dette extérieure (paiement des intérêts et remboursement des prêts). L’ajustement structurel repose habituellement sur le dosage (différent selon les pays) des éléments suivants : réduction des dépenses publiques, dévaluation de la monnaie nationale (afin de réduire les prix des produits exportés et d’augmenter ceux des produits importés), privatisation et/ou réduction des subventions publiques de fonctionnement à certaines entreprises ou à certains produits, blocage des salaires (pour éviter que la dévaluation ne provoque un enchaînement inflationniste).

[2Banque Mondiale, Poverty and shared prosperity 2018. Piecing together the poverty puzzle, International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, 2018.

[3C’est-à-dire de la population qui dispose de moins de 1,9 USD par jour.

[4Banque mondiale, Rapport 2020 sur la pauvreté et la prospérité partagée. Revers de fortune, Groupe de la Banque mondiale, octobre 2020.

[5L’étendue de ce secteur dans la région est de 22%, en pourcentage du PIB (Franziska Ohnsorge et Shu Yu (eds.), The Long Shadow of Informality : Challenges and Policies, International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, 2021).

[6Qu’il s’agisse de l’accès à l’eau potable, l’assainissement, l’éducation et les soins aux enfants (Christina Laskaridis, « The Gendered Impacts of the IMF’s Harmful Surcharges Policy », Center for economic and policy research, 15 avril 2022).

[7En 2050, la quantité d’eau disponible par tête sera diminuée de moitié (Ferid Belhaj et Ayat Soliman, « La région MENA souffre d’insécurité alimentaire, mais des remèdes existent », La Banque mondiale/BIRD/IDA, 25 septembre 2021).

[8Tarek Radwan, The impact and influence of international financial institutions on the Middle East & North Africa, Friedrich Ebert Stiftung, 2020, p. 118.

[9La liste complète est disponible sur : https://www.bct.gov.tn/bc...

[10Banque mondiale, « Confrontation avec la réalité : prévisions de croissance dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en période d’incertitude », Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondial, avril 2022.

[11Aussi connue en anglais comme les « surcharges ». Pour en savoir plus : https://www.eurodad.org/a...

[12Michael Galan et Aliza Khan, « “Examining the Gendered and Other Impacts of IMF Surcharges” Event Transcript », Kvinna till Kvinna Foundation/ Arab Watch Coalition/ Bretton Woods Project/ Center for Economic and Policy Research, 17 mai 2022 ; FMI, « Fiche technique. Accord de confirmation du FMI », Fonds monétaire international, mars 2016.

[13C’est-à-dire les frais supplémentaires imposés aux pays dont la dette envers le FMI est élevée. En plus des paiements d’intérêts et des frais de service habituels, les pays doivent payer des commissions additionnelles qui dépendent du montant emprunté et de la durée de l’emprunt. Le FMI considère que ces commissions exercent un effet dissuasif sur l’utilisation prolongée du montant emprunté (Michael Galan et Aliza Khan, « “Examining the Gendered and Other Impacts of IMF Surcharges” Event Transcript », Kvinna till Kvinna Foundation/ Arab Watch Coalition/ Bretton Woods Project/ Center for Economic and Policy Research, 17 mai 2022 ; FMI, « Fiche technique. Accord de confirmation du FMI », Fonds monétaire international, mars 2016).

[14Dan Beeton et Shereen Talaat, « Now Would Be a Good Time for the IMF to Do Away with Unfair and Unnecessary Surcharges », Center for economic and policy research, 22 avril 2022.

[15FMI, « Fiche technique. Prêts du FMI », Fonds monétaire international, février 2021.

[16Christina Laskaridis, « The Gendered Impacts of the IMF’s Harmful Surcharges Policy », Center for economic and policy research, 15 avril 2022.

[17Dan Beeton et Shereen Talaat, « Now Would Be a Good Time for the IMF to Do Away with Unfair and Unnecessary Surcharges », Center for economic and policy research, 22 avril 2022.

[18Voir en particulier la déclaration signée par le CNCD-11.11.11 et Arab Watch : https://debtgwa.net/state...

[19Andrea Shalal, « IMF shareholders deeply divided on wether to suspend surcharges on some loans », Reuters, 13 décembre 2022.