Afrique de l'Ouest

Redonner un avenir aux enfants des rues

Une lutte pour leurs droits au Bénin et au Sénégal.
Source : SFER (Facebook)

Au Bénin comme au Sénégal, de nombreux enfants se retrouvent en rue : en situation de migration ou de rupture familiale, ils sont victimes de violence et voient leurs droits bafoués. Avec le soutien de l’Opération 11.11.11, les associations locales et leur partenaire Dynamo International tentent de répondre à leurs besoins immédiats et de les sortir de ces situations d’exclusion.

Stigmatisée dans sa communauté, Josefa avait moins de 11 ans lorsqu’elle s’est retrouvée en rue. « On l’a récupérée deux mois avant qu’elle ne passe son examen de fin d’école primaire », se souvient Roger Ouensavi. « Elle l’a finalement réussi brillamment. » Josefa a été placée dans une structure d’accueil de la Plateforme des travailleurs de rue du Bénin, dont M. Ouensavi est le coordinateur, puis replacée en famille au terme d’une médiation. « Aujourd’hui, elle termine une formation en restauration », poursuit le travailleur de rue et sociologue. Le cas de Josefa est un parmi des milliers. Mais tous n’ont pas été couronnés d’autant de succès.

« La problématique des enfants en situation de rue a émergé à la fin des années 1980 en même temps que l’explosion urbaine », relate Roger Ouensavi. Les villes mangent les périphérie et l’activité agricole ne permet plus aux paysans de subvenir aux besoins de leur famille. Ils se dirigent alors vers les villes mais n’y trouvent pas l’eldorado attendu. Crise du logement et crise économiques fragilisent les familles – principalement monoparentales – et poussent les enfants à aller chercher un complément de revenus.

« Dans le même temps, on assiste au déclin de la solidarité », poursuit le travailleur social. « Les enfants, jusque-là sous la houlette de la communauté, ne sont plus pris en charge que par le cercle familial ». Tombent par la même occasion les « filets sociaux permettant de gérer les situations de violence intrafamiliale ».

De la rupture familiale à la rue

Au Bénin, des travailleuses et travailleurs sociaux·ales dédié·e·s aux enfants en situation de rue
Au Bénin, des travailleuses et travailleurs sociaux·ales dédié·e·s aux enfants en situation de rue
Dynamo International (Source)

« Victimes de pauvreté, de violence, d’exclusion, de stigmatisation, ces enfants quittent leur milieu familial afin d’éviter de subir ou d’assister à des violences ; On trouve aussi en rue des enfants issus de familles mendiantes ou encore des enfants loués pour mendier », étaie Augustin Carvalho, directeur de l’association sénégalaise Solidarité pour les enfants de la rue (SPER).

« Au Bénin, la situation des filles placées dans des familles pour des tâches de ménage est un cas préoccupant », ajoute Roger Ouensavi. « Pour leur survie, ces enfants volent, se prostituent… des activités qui mettent en danger leur vie », résume-t-il.

Au Sénégal particulièrement, mais aussi dans le nord du Bénin, la situation des enfants talibés, venus de la sous-région, inquiète particulièrement. Confiés par leurs proches à des écoles coraniques pour leur éducation religieuse, ils sont forcés à la mendicité et souvent victimes d’abus dans un système d’exploitation qui profite aux maitres coraniques et aux parents ou tuteurs. Si leur nombre est difficilement chiffrable, une étude menée en 2018 par l’ONG Global Solidarity Initiative citée par Amnesty International estime qu’ils seraient 200 000 à Dakar. « C’est de la traite d’êtres humains », dénonce Augustin Carvalho, qui les côtoient depuis de longues années. Les enfants en situation de migration sont quant à eux de plus en plus nombreux à transiter ou à s’établir au Bénin ou au Sénégal. Un constat à prendre en compte au moment de réfléchir à la prise en charge de chacun…

Sortir de la rue

Au Bénin comme au Sénégal, ces enfants se retrouvent principalement dans les rues des grandes villes. A Cotonou ou Porto Novo, « mais aussi et de plus en plus dans des villes secondaires », ils arpentent les marchés en quête de nourriture et de quelques sous contre leurs services. Au Sénégal, ils sont, pour 80% d’entre eux, à Dakar, centre névralgique de l’activité économique du pays.

Comme pour Josefa, il s’agit de les « sortir de la rue » avant qu’ils ne mettent leur vie en danger ou ne commettent des délits pour survivre. Roger comme Augustin organisent des maraudes et vont à la rencontre des enfants « là où ils se trouvent », principalement dans les marchés.

Source : SFER (Facebook)

Au Sénégal, Solidarité pour les enfants de la rue peut héberger 25 enfants à Dakar et 12 en Casamance (mais davantage encore au sein du Collectif d’Organisations et Structures d’Appui aux Enfants en Difficulté – le réseau Cosaed). Ils sortent ainsi de l’urgence de la rue et profitent d’un « lieu à eux », en-dehors de la « promiscuité parfois synonyme de viol, d’attouchements », explique Augustin Carvalho. Ils y bénéficient d’un accompagnement psycho-médicosocial et d’un temps précieux pour libérer la parole et réfléchir à leur projet de vie. Pendant ce temps, les travailleurs sociaux s’attèlent à poser les bases d’un éventuel retour en famille. En outre, ces derniers luttent auprès des autorités politiques et judiciaires pour que soient respectés les droits de ces enfants.

Au Bénin, Roger Ouensavi et ses collègues travailleurs sociaux, infirmiers, psychologues et juristes offrent « un accès au matériel d’hygiène du corps et vestimentaire, une consultation médicale et psychosociale et un accompagnement vers une formation voire une réunification familiale », résume-t-il. Dans sa « baraque d’écoute », Roger Ouensavi questionne les souhaits de ces jeunes et les aiguille du mieux qu’il peut. « Nous offrons des solutions à court et moyen terme, mais l’Etat béninois doit prendre le relais de la prise en charge à long terme », souligne-t-il. C’est l’objet du guichet unique de prise en charge en cours de développement.

Un réseau international

Les situations rencontrées par Augustin Carvalho et Roger Ouensavi, bien qu’empreintes d’un contexte particulier, sont semblables à bien des égards. « La problématique traversant les frontières des pays, particulièrement du fait de la migration, la réponse doit être concertée pour être efficace », estime Roger Ouensavi. C’est notamment le travail que mènent les membres du Street Workers Network, un réseau international des travailleurs de rue actif dans 57 pays et réparti sur quatre continents, que coordonne l’association belge Dynamo International, membre du CNCD-11.11.11. « Le travail que nous y effectuons permet non seulement d’améliorer les pratiques sociales propres au travail de rue mais aussi de donner du poids et de la crédibilité au travail de plaidoyer », explique Augustin Carvalho. A terme, ce réseau (par ailleurs soutenu par l’Opération 11.11.11) vise à diminuer structurellement et durablement les inégalités rencontrées par les personnes en situation d’exclusion sociale, et en particulier les populations en situation de rue, par le respect et la défense des droits humains.

La lutte pour les droits des enfants des rues est un combat de longue haleine nécessitant la mobilisation de tous. En soutenant les associations locales, nous pouvons offrir à ces enfants l’espoir d’un avenir meilleur, loin de la rue et de ses dangers.

Source : SFER (Facebook)

Augustin Carvalho, « une mission sacerdotale »

Augustin Carvalho, « une mission sacerdotale », Sénégal.
Augustin Carvalho, « une mission sacerdotale », Sénégal.

Augustin Carvalho considère son rôle auprès des enfants en situation de rue comme une « mission sacerdotale ». Issu d’une famille aisée de Saint Louis, il a grandi, entouré d’une part, de la congrégation des frères religieux de Thésée et, de l’autre, des enfants « talibés » - ces enfants confiés par leurs proches à des écoles coraniques pour leur éducation religieuse et qui sont, bien souvent, forcés à la mendicité et victimes de violence. Rapidement « touché par leurs conditions de vie », Augustin s’engage dans l’action militante, compose comme musicien des textes en faveur des personnes marginalisées, et enfin, fonde l’association Solidarité pour les enfants de la rue, dont il est le directeur. « L’objectif, au terme d’une prise en charge psychosociale, médicale, alimentaire, et l’hébergement est le retour en famille », explique-t-il. A 52 ans, il lutte – sur le terrain et auprès des autorités politiques et judiciaires – pour que soient respectés les droits de ces enfants victimes de pauvreté, d’exclusion ou de différentes formes d’abus et de violence ; et pour que soit reconnu le travail social de rue. Ce combat, il le mène également auprès du Street Workers Network, un réseau international de travailleurs de rue coordonné par Dynamo International.

Roger Ouensavi, le « vieux sage »

Roger Ouensavi n’est pas fatigué. A 66 ans, ce sociologue de formation estime mériter son surnom de « vieux », « synonyme de sagesse », glisse-t-il. Une sagesse acquise après près de quarante années passées avec les enfants en situation de rue, du nord au sud du Bénin.

Roger Ouensavi, le « vieux sage ». Bénin.
Roger Ouensavi, le « vieux sage ». Bénin.
D.R.

« Au début des années 1990, il n’y avait pas de formation reconnue pour le travail social de rue », se souvient-il. Aujourd’hui en revanche, elle est en passe d’intégrer les programmes universitaires et il existe une Plateforme nationale des travailleurs de rue, dont Roger Ouensavi est le coordinateur. Au quotidien, il s’attèle à aller à la rencontre de ces enfants victimes d’exclusion, de stigmatisation et de violence « là où ils se trouvent ». Dans leur « baraque d’écoute », lui et ses collègues travailleurs sociaux, infirmiers et psychologues « tentent d’améliorer leurs conditions de vie en leur offrant un accès au matériel d’hygiène du corps et vestimentaire, une consultation médicale et psychosociale et un accompagnement vers une formation voire une réunification familiale ».

« Ces enfants ne peuvent pas faire tomber le gouvernement ! », a régulièrement entendu Roger Ouensavi. Il s’est dès lors fixé pour mission de visibiliser ces jeunes laissés pour compte. « Puisque nous sommes les premiers à les voir vraiment, je suis mû par la volonté d’humaniser leur vulnérabilité. »

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pour un monde juste et durable

Les entretiens avec Roger Ouensavi et Augustin Carvalho ont été réalisé à l’occasion de leur passage en Belgique en avril 2024. Lors de leur visite, une rencontre sur l’action des travailleur·euse·s sociaux·ales de rue au Bénin et au Sénégal s’est tenue au CNCD-11.11.11. Elle a été enregistrée et est visible sur Youtube.