Tribune

Refonder plutôt que démanteler les politiques de coopération internationale

Pour une coopération au développement plus « horizontale » et désoccidentalisée.
Manifestation à Bruxelles du secteur non marchand en mai 2025
Manifestation à Bruxelles du secteur non marchand en mai 2025
© Florence Platteau

La réduction de l’aide au développement, qui atteint 25% en Belgique, met en péril des programmes essentiels de santé, de sécurité alimentaire et de soutien à la démocratie. Face au basculement du monde, il est urgent non pas de réduire cette aide, mais de la refonder pour lutter contre la pauvreté, prévenir les crises et répondre aux défis mondiaux.

Les budgets d’aide publique au développement subissent des coupes sombres aux conséquences dramatiques. Aux Etats-Unis, l’Administration Trump a brutalement fermé l’USAID et réduit de 83% le budget de l’aide au développement. La fermeture de l’USAID a entraîné l’abandon des programmes de santé qui permettaient pourtant de sauver des millions de vie chaque année, le gaspillage de centaines de millions de dollars de denrées alimentaires pourrissant dans des entrepôts à défaut d’être distribuées aux personnes malnutries, l’arrêt de programmes de soutien aux contre-pouvoirs démocratiques dans des autocraties, ou encore la disparition de 40% du financement du Programme alimentaire mondial et de l’aide d’urgence dans les crises humanitaires les plus graves.

En Europe, plusieurs pays donateurs ont annoncé des coupes importantes, dont la Belgique, où le gouvernement Arizona a décidé de réduire de 25% le budget de la Coopération belge. Alors que le budget de l’aide belge au développement a augmenté de 0,41% du RNB en 2019 à 0,48 % en 2024 au cours de la précédente législature, il s’agit d’un tournant inquiétant dans la politique belge de coopération internationale. Pour la première fois depuis des décennies, le gouvernement belge a ouvertement abandonné l’objectif international de 0,7% du RNB à consacrer à l’aide au développement. Le président du MR plaide même pour une suppression totale de la coopération au développement – à l’image de l’Administration Trump aux Etats-Unis.

L’aide au développement a pourtant fait ses preuves et a un rôle majeur à jouer pour répondre aux défis mondiaux. Elle a contribué à réduire l’extrême pauvreté de 38% à 8% de la population mondiale depuis 1990. D’importants progrès ont été enregistrés, notamment en matière de santé et d’éducation. Loin d’être un coût démesuré pour les finances publiques des pays donateurs, l’aide au développement représente un coût marginal pour un impact économique et social considérable.

L’objectif international de 0,7 % ne représente qu’une fraction des 5% du PIB que les pays de l’OTAN se sont engagés à mobiliser pour les dépenses militaires et de sécurité. Loin de représenter un gaspillage, l’aide peut au contraire prévenir les crises et épargner des dépenses colossales. Selon l’OCDE, chaque dollar investi en prévention des  conflits permet d’en épargner 16 à l’avenir, tandis que prévenir une  pandémie  coûte plusieurs centaines de fois moins cher que devoir la gérer a posteriori. La coopération internationale génère en outre des bénéfices pour les économies des pays donateurs  : chaque euro d’aide européenne génère plus d’un euro d’exportations européennes en retour.

En réalité, malgré ses limites, la coopération au développement est un investissement dans la prospérité partagée et la stabilité mondiale. Dans un contexte international marqué par le repli nationaliste, la multiplication des conflits, les violations du droit international humanitaire, la guerre commerciale et le dérèglement climatique, elle est plus nécessaire que jamais. Il est toutefois nécessaire de la repenser pour l’adapter au basculement du monde. Plutôt qu’être réduite, elle devrait être refondée.

Outre la lutte contre la pauvreté, l’aide au développement peut contribuer à répondre aux enjeux mondiaux. Cela nécessite de passer définitivement d’une coopération «   verticale   » (dicter ses priorités la main sur le portefeuille) à une coopération «   horizontale   » (poursuivre ensemble des objectifs communs). Cela implique également de désoccidentaliser l’aide dans un monde qui se désoccidentalise, afin de mieux intégrer les pays donateurs émergents.

En matière climatique, le Nord n’a pas les moyens de régler seul la transition énergétique  et doit donc s’accorder avec le Sud pour atteindre des objectifs communs. La coopération internationale a un rôle majeur à jouer dans l’adaptation des pays vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique et dans le développement des technologies vertes dans les pays en développement.

En matière de santé, la coopération internationale permet la diffusion et la répartition des traitements et le développement des systèmes de santé publique. Face à une pandémie et à ses conséquences économiques et sociales, les problèmes des uns sont les problèmes des autres. C’est pourquoi on ne répondra pas efficacement à ces enjeux globaux sans renforcer la coopération internationale.

En matière de sécurité, le développement est un des trois piliers de l’approche globale  (diplomatie, défense et développement). La pauvreté est reconnue depuis des décennies comme un facteur majeur d’insécurité dans le monde. Financer le réarmement des pays de l’OTAN en sacrifiant les budgets d’aide au développement mènerait dès lors à une impasse. La coopération au développement a un rôle majeur à jouer en matière de prévention des conflits, de reconstruction et de développement des pays en situation de post-conflit.

En matière de démocratie et de droits humains, dans un monde où près de trois personnes sur quatre vivent dans un régime autocratique, la coopération internationale peut contribuer à promouvoir le respect des droits humains et de la démocratie libérale dans le monde en renforçant les contre-pouvoirs démocratiques, comme les organisations de la société civile ou les médias indépendants.

A cette aune, le gouvernement belge devrait renoncer aux coupes prévues dans la Coopération belge et refaire de la solidarité internationale une priorité de sa politique extérieure.

Tribune parue le mardi 30 septembre 2025 dans L’Echo.