Dossier de campagne

Changeons la recette. Pour des systèmes alimentaires juste & durables.

Ce dossier de campagne vise à nourrir la réflexion et à fournir des éléments factuels, mais également à appeler à l’action l’ensemble des acteurs et actrices engagés, de près ou de loin, autour de la campagne pour des systèmes alimentaires justes et durables menée par le CNCD-11.11.11, ses membres et volontaires, et une diversité d’associations alliées.

Pourquoi une campagne sur les systèmes alimentaires justes et durables ? Car les règles du jeu qui encadrent l’agriculture et l’alimentation sont biaisées : les politiques agricoles et accords commerciaux internationaux favorisent les grands groupes agroindustriels, aux dépens des agriculteurs, des agricultrices, des consommateurs, des consommatrices et de la planète. La quête du prix le plus bas, moteur de la compétition mondiale, plonge des millions de familles paysannes dans la précarité, favorise la malbouffe et détruit le vivant. Résultat : des centaines de millions de personnes souffrent de la faim, encore plus de personnes souffrent d’obésité, la planète s’abîme et les producteur·ices peinent à vivre de leur travail.

En réponse à cette situation, de plus en plus de personnes font évoluer leur alimentation pour la rendre plus respectueuse des producteurs et productrices, de la planète et de leur santé. Ces démarches sont essentielles, mais elles ne suffisent pas à elles seules : pour transformer durablement notre système alimentaire, des actions collectives et des politiques publiques fortes sont aussi nécessaires.

Par système alimentaire, nous entendons tous les éléments (environnement, personnes, intrants, processus, infrastructures, institutions, etc.) liés à la production, la transformation, la distribution, la préparation, la consommation de denrées alimentaires, la gestion des déchets et les résultats de ces activités, y compris les résultats socio-économiques et environnementaux [1].

Faire campagne sur les enjeux agroalimentaires sous l’angle des systèmes alimentaires, c’est chercher à mettre en lumière toutes les étapes du secteur agroalimentaire et analyser les inégalités de pouvoir et les rapports de force qui s’y jouent. Cette approche permet d’éviter le piège d’une mise dos à dos perpétuelle des agriculteur·ices et des consommateur·ices. Le traitement narratif des enjeux agroalimentaires souffre encore souvent d’agribashing, un discours qui fait porter la responsabilité au monde agricole sans tenir compte de la complexité de sa situation (impacts historiques des politiques agricoles, inégalités de pouvoir dans les chaînes de valeur, situation économique précaire, etc.).

Deuxièmement, l’approche « système alimentaire » invite à tenir compte des interdépendances avec d’autres enjeux de société, tels que le commerce, l’environnement, la santé, ou les inégalités de genre. Comprendre ces interdépendances est essentiel en vue de poser un diagnostic complet sur la crise alimentaire, mais aussi primordial afin d’aborder les solutions. Évidemment, les politiques publiques qui façonnent les systèmes alimentaires doivent être intégrées à l’analyse, puisqu’elles définissent le cadre dans lequel opèrent tous les acteurs de la chaîne. Ce phénomène d’interdépendance impose donc de s’intéresser à des politiques publiques et des enceintes de débat qui dépassent le seul champ des politiques agricoles (voir les cercles périphériques de la Figure).

Figure - Systèmes alimentaires : étapes & interdépendances
Figure - Systèmes alimentaires : étapes & interdépendances
Source : Kelly Parsons, Corinna Hawkes, Rebecca Wells, Understanding the food system : Why it matters for food policy, University of London, Centre for Food Policy, 2019.

Pour consacrer cette approche des « systèmes alimentaires », ce dossier de campagne est articulé
en différentes parties.

La première partie décrit les impasses du système agroindustriel mondialisé, développé par l’agrobusiness et soutenu par des institutions internationales, telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour illustrer ces impasses, nous tenterons de démontrer que ce système agroindustriel mondialisé est nocif pour les citoyen·nes, le monde agricole et la planète. Concrètement, ce système ne permet pas de garantir le droit à l’alimentation, que ce soit dans les pays à faible revenu où des millions de personnes souffrent de la faim ou dans les pays riches où d’autres formes de malnutrition explosent. Il ne permet pas aux agriculteur·ices de vivre dignement de leur métier et ne garantit pas de conditions de travail décentes aux travailleur·euses le long des autres étapes du système alimentaire. L’intensification du recours aux produits phytosanitaires, des échanges internationaux ou encore des processus industriels de transformation exacerbe les crises environnementales, tant au niveau du climat que de la biodiversité.

La seconde partie présentera les alternatives pratiques et politiques portées par l’agroécologie et la souveraineté alimentaire. Ces dernières démontrent qu’il est non seulement possible de produire autrement, mais aussi de doter les systèmes alimentaires d’un environnement politique, économique et social alternatif à celui de la mondialisation néolibérale.

De la gestion des semences au compost, en passant par les modes de production et de distribution, ces modèles s’inscrivent tantôt dans des pratiques traditionnelles ayant résisté à la mondialisation néolibérale, tantôt dans des innovations portées par des acteurs économiques ou de la société civile. Le défi aujourd’hui est non seulement de les préserver, mais aussi de les faire changer d’échelle. Il s’agit de transformer le système alimentaire dominant, et non de se contenter de créer des marchés de niche en son sein.

Ce dossier se veut un guide pour l’action. C’est pourquoi au-delà de la théorie, l’accent sera mis sur les dossiers politiques qui influencent concrètement l’évolution de nos systèmes alimentaires et sur lesquels les citoyen·nes peuvent faire entendre leur voix. Nous épinglerons quelques-unes des luttes à mener pour faire évoluer les systèmes alimentaires dans le sens de la transition agroécologique. Que ce soit dans le domaine des politiques agricoles, commerciales, climatiques ou encore de solidarité internationale, les années 2025 et 2026 seront le théâtre de décisions cruciales. Chacune d’entre elles peut potentiellement aggraver les impasses actuelles du système alimentaire, dans une sorte de fuite en avant. Mais l’histoire montre que des mouvements citoyens peuvent faire la différence. Cette campagne pour « des systèmes alimentaires justes et durables » vise à rassembler la mobilisation des citoyen·nes, du monde agricole, des mouvements sociaux de Belgique et d’ailleurs, afin de changer le système agroalimentaire. Elle se focalise autour de quatre axes clés :

  1. Des politiques agricoles qui permettent un travail décent au monde agricole et une transition juste et durable.
  2. Des politiques commerciales assurant des garanties réelles de respect du développement durable entre autres au travers de normes sanitaires et environnementales.
  3. Des politiques climatiques qui permettent une réelle transition agricole, construite en dialogue avec le monde paysan.
  4. Des politiques de coopération au développement ambitieuses et centrées sur l’atteinte des Objectifs de développement durable [2].

Chacune des victoires politiques que nous obtiendrons dans ces dossiers constituera une brèche dans le système dominant et un tremplin pour accélérer les efforts de celles et ceux qui bâtissent déjà des systèmes alimentaires justes et durables.

[1HLPE, Approches agroécologiques et autres approches novatrices pour une agriculture et des systèmes alimentaires durables propres à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition,
2019.

[2En 2015, les chefs d’État de 193 pays membres de l’ONU ont adopté un nouvel agenda du développement durable visant à construire, d’ici 2030, un monde plus juste, durable et en paix. Cet agenda, connu sous le nom d’Agenda 2030, fixe 17 Objectifs de développement durable (ODD en français, ou Sustainable Development Goals – SDGs – en anglais) et 169 cibles à atteindre dans des domaines aussi variés que l’éradication de la pauvreté, la lutte contre la faim, l’accès à une éducation de qualité, la réduction des inégalités, les modes de production et de consommation durables, ou encore la lutte contre le dérèglement climatique.