Solidarité internationale >< Replis sur soi
7 idées fausses sur la coopération au développement
La coopération au développement ne sert pas à rien, les clichés oui...
Souvent, pour justifier des coupes budgétaires ou un projet de repli sur soi, les adversaires de la solidarité internationale tiennent des propos simplistes, biaisés, incomplets voire faux sur la coopération au développement. Antoinette Van Haute leur répond.
Depuis les années 1990, le taux d’enfants non-scolarisés a été divisé par deux, de même que la mortalité infantile [1]. L’espérance de vie a augmenté dans le monde , et en moyenne de 10 ans en Afrique entre 2000 et 2019 [2]. La coopération au développement
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a contribué à ces progrès : les études prouvent qu’elle a permis de réduire la pauvreté, stimuler la croissance et les investissements, augmenter l’espérance de vie ainsi que le taux moyen de scolarisation [3].
En particulier dans le domaine de la santé, la coopération au développement a permis de réduire la mortalité des enfants de moins de cinq ans, d’éliminer complètement la variole et la cécité des rivières [maladie parasitique] [4]. Par le seul Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et la malaria, ce sont 27 millions de vies humaines qui ont été sauvées [5]. Entre 2000 et 2017, le nombre de nouvelles infections au VIH SIDA a décliné de 43% dans les pays soutenus par ce Fonds [6]. La coopération au développement a également permis d’éradiquer presque entièrement la poliomyélite : l’initiative mondiale pour son éradication a permis d’éviter que 18 millions de personnes ne soient paralysées [7].
Dans le domaine de l’éducation aussi, la coopération au développement a permis à 34 millions d’enfants supplémentaires d’aller à l’école depuis les années 2000 [8]. Elle a aussi joué un rôle clé dans la mise en place de systèmes de protection sociale qui ont été essentiels dans la lutte contre la Covid-19
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Coronavirus
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[9].
La coopération au développement n’éradiquera pas à elle seule la pauvreté et les inégalités mondiales, mais elle y contribue sans aucun doute !
Depuis 2001, le nombre de pays à faible revenu dans le monde a presque été divisé par deux, après que 31 d’entre eux soient passés dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire [10]. De même, plusieurs pays ont pu sortir de la catégorie des pays dits “les moins avancés” (pays dont les indices de développement humain sont les plus faibles au monde), dont le Botswana, le Cap Vert, le Bhoutan ou la Guinée équatoriale [11].
Nombre de pays aujourd’hui considérés comme développés ont pu bénéficier de quantités importantes d’aide au développement, à des moments-clés de leur histoire. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) le rappelle : « Les pays où s’est produit le miracle économique est-asiatique, notamment la République de Corée et la Province chinoise de Taiwan, ont reçu d’énormes quantités d’aide au cours des étapes initiales de leur développement, bénéficiant encore de l’aide pendant une bonne partie des années 60. En Afrique, une aide considérable a été accordée tant au Botswana qu’à l’île Maurice à des moments clefs de leur développement, à l’instar de la Tunisie un peu plus tôt. Ces exemples montrent que d’importants apports d’une aide bien ciblée ont produit des cas exemplaires de réussite en matière de croissance et de développement global » [12]. Une bonne gestion de l’aide au développement peut donc conduire à la prospérité économique ; la clé est d’utiliser cette aide de manière stratégique pour renforcer des stratégies de développement appropriées.
Si l’on prend en particulier le cas de la Corée du Sud, celle-ci a effectivement reçu des montants très importants d’aide au développement (plus de 28 milliards USD entre 1960 et 1980 [13]), grâce auxquels elle a pu investir dans l’éducation, la formation d’une main d’œuvre qualifiée, et le développement des infrastructures et de secteurs stratégiques : des éléments qui ont par la suite permis une industrialisation rapide, une diversification économique et le développement de géants technologiques sud-coréens, tels que Samsung ou Hyundai. Aujourd’hui, la Corée du Sud est souvent citée comme un exemple saillant d’un développement réussi. Depuis 1996, elle fait partie des pays donateurs de l’OCDE.
Le Botswana a lui aussi utilisé l’aide au développement de manière stratégique, en l’investissant dans le développement des infrastructures, des institutions, du système financier et dans la diversification économique, afin de mieux gérer - mais aussi de sortir de la dépendance envers – ses ressources naturelles (surtout les diamants). Résultat : alors qu’il était parmi les pays les plus pauvres du monde dans les années 1960, il est aujourd’hui devenu un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure [14].
Les dépenses sociales en Belgique représentent environ 30% du PIB belge, alors que l’aide au développement dépasse à peine 0,4% des richesses de la Belgique. Les dépenses publiques pour lutter contre la pauvreté en Belgique sont donc sans commune mesure avec les dépenses d’aide publique au développement.
D’une importance capitale, les investissements dans la lutte contre la pauvreté en Belgique ne doivent pas se faire au détriment de ceux à l’étranger, et vice versa. Car investir dans un monde juste et durable, cela contribue aussi au bien-être chez nous. En effet, les gaz à effet de serre, la pollution de l’air, les maladies transmissibles, les conséquences économiques de conflits à l’étranger, ne s’arrêtent pas à nos frontières. Ainsi, le dérèglement climatique mondial a mené à des inondations terribles dans notre propre pays. Ainsi, un virus survenu de l’autre côté de la planète nous a obligés à rester confinés pendant près de deux ans. Ainsi, un conflit à des milliers de kilomètres a augmenté drastiquement nos propres factures d’énergie et poussé des millions de personnes à l’exil. Dans un monde aussi interconnecté, nous éprouvons fatalement en Belgique les conséquences de ce qui se passe au-delà de nos frontières.
Certes, la coopération au développement est d’abord un moyen de réduire la pauvreté et les inégalités dans les régions qui en ont le plus besoin. Elle est aussi un moyen de redistribuer les richesses entre pays, certains s’étant historiquement enrichis au détriment d’autres. Mais elle est aussi un moyen d’investir dans un monde plus durable et plus stable, pour toutes et tous, y compris pour nous. Car il est aussi dans l’intérêt de la Belgique d’investir dans le financement climatique, dans la prévention de futures pandémies, dans l’éradication de maladies, dans la prévention des conflits, et plus globalement dans la résilience et le développement durable des pays du Sud. Par exemple, les Nations Unies estimaient en 2021 que dépenser 70 à 120 milliards USD durant les deux années après la pandémie de Covid-19, puis entre 20 et 40 milliards USD annuellement par après, réduirait significativement la probabilité d’une nouvelle pandémie [15]. De même, selon l’OCDE, « Tout dollar investi en prévention maintenant permet d’épargner 16 dollars à l’avenir » [16]. Même pour les plus critiques d’entre nous, la coopération au développement reste donc un investissement stratégique.
En 2023, la Belgique a consacré seulement 0,44% de ses richesses (son revenu national brut) à l’aide au développement [17].
Au niveau mondial, elle ne contribue qu’à hauteur d’environ 1% de l’aide internationale cumulée des pays donateurs (située à 224 milliards USD). Et même cette dernière ne représente que peu de choses, par rapport au budget santé du seul Royaume-Uni par exemple (350 milliards USD [18]).
Aujourd’hui, la Belgique se trouve en-dessous de la moyenne européenne des pays donateurs. Elle est entourée de pays voisins qui font tous, sans exception, mieux qu’elle : le Luxembourg (qui consacre 0,99% de son RNB à l’aide au développement), l’Allemagne (0,79%), les Pays-Bas (0,66%) et la France (0,50%).
Il en va aussi de la crédibilité internationale de la Belgique : notre pays s’était engagé, dès 1970, à consacrer 0,7% de son RNB à l’aide au développement. La date butoir pour concrétiser cet engagement était 1975, à l’époque - soit il y a près de 50 ans. Depuis lors, cet engagement a été réitéré à plusieurs reprises, dont le dernier en date a fixé l’échéance à 2030.
Pourtant, la Belgique n’a jamais honoré son engagement, maintes fois répété, contrairement à d’autres pays européens aujourd’hui (Luxembourg, Danemark, Norvège, Allemagne, Suède). De son côté, la Belgique s’est même éloignée de son engagement international : entre 2003 et 2012, la Belgique a alloué 0,51% de son RNB à l’aide au développement par an, en moyenne. Et au cours des 11 années ultérieures, entre 2013 et 2023, cette moyenne a baissé à 0,45%. Et pourtant, remplir sa promesse serait loin de ruiner la Belgique : il s’agit d’investir environ un euro par jour et par Belge dans un monde plus juste et plus durable !
Les sondages prouvent en outre que le citoyen belge veut être solidaire avec les populations les plus pauvres du monde : 87% des Belges interrogés pensent qu’il est important d’aider les personnes vivant dans les pays en développement [19].
Certes, l’efficacité de l’aide est cruciale, mais la première condition de l’efficacité de l’aide est qu’elle soit allouée en quantité suffisante. Comment espérer résoudre des problèmes complexes, aux racines profondes, dans les pays les plus pauvres du monde, avec paradoxalement des moyens minuscules ? Oui, l’efficacité est importante. Et oui, chaque centime compte. Mais espérer des changements profonds et rapides dans des environnements difficiles et instables, en y consacrant moins de temps et moins de ressources, est l’erreur ultime du secteur de la coopération au développement. L’OCDE le dit elle-même : « Il faudra de la patience et un engagement à long terme pour soutenir un véritable changement générationnel, susceptible de prendre de 20 à 40 ans selon les estimations de banques de développement » [20].
N’oublions pas que nous avons nous-mêmes, en Europe, bénéficié d’un montant très important d’une forme d’aide au développement après la seconde Guerre mondiale, plus communément appelée le Plan Marshall. Alloué à 16 pays européens seulement, le montant total de ce plan équivalait à plus de 150 milliards USD aujourd’hui [21], ce qui représente deux tiers de toute l’aide internationale annuelle en 2023.
Il n’y a donc pas d’efficacité sans quantité suffisante : les plus grands miracles de développement économique ont effectivement bénéficié de montants importants d’aide au développement dans leur histoire, et ont aussi pris des décennies avant de se transformer économiquement (tels que les exemples de la Corée du Sud ou de Taïwan, mais aussi du Rwanda, du Ghana, ou encore du Vietnam).
Les financements des ONG représentent moins de 6% de toute l’aide au développement de la Belgique [22]. Si l‘on ne prend en compte que les budgets de la Direction générale de la coopération au développement, ils ne représentent toujours que 11% de ces derniers. En comparaison, les financements qui transitent par les organisations multilatérales (telles que les agences des Nations Unies) représentaient 54% de ces budgets la même année. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les ONG ne sont pas les principales bénéficiaires de l’aide belge - malgré qu’elles constituent un canal complémentaire de la Coopération au développement particulièrement crucial en période de crise diplomatique avec un pays tiers.
L’aide au développement n’est pas seulement complémentaire aux investissements privés, mais surtout unique en son genre : elle peut être allouée dans des contextes risqués et constituer un flux contra-cyclique crucial en période de crise. Suite à la pandémie de Covid-19 par exemple, elle est le seul flux financier vers les pays du Sud qui a augmenté plutôt que diminué [23]. En outre, l’APD peut être catalytique : elle ouvre la voie à d’autres investissements externes ou internes [24]. Ainsi, selon l’OCDE, « pour tous les contextes fragiles, l’aide est le seul flux qui peut catalyser les réformes et soutenir des fondations solides que d’autres flux peuvent ensuite renforcer et aider à construire » [25]. En outre, plus globalement, l’aide au développement a la particularité d’être concessionnelle, et de pouvoir être allouée directement aux endroits et aux secteurs qui en ont le plus besoin ; pas ceux où le rendement économique attendu est le plus élevé. Ainsi, il ne faut pas opposer aide au développement et investissements privés, mais les considérer comme complémentaires et les promouvoir de manière différenciée dépendant du contexte.
[1] UNICEF, Under-five mortality, data.unicef.org, mars 2024.
[2] L’espérance de vie s’allonge de près de dix ans en Afrique (OMS) | ONU Info (un.org).
[3] ARNDT C., JONES S., TARP F., “Assessing Foreign Aid’s Long-Run Contribution to Growth and Development” in World Development, 2015, vol. 69, issue C, 6-18.
[4] Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), Le développement économique en Afrique, Doublement de l’aide : Assurer la grande poussée, New York et Genève, Nations unies, 2006.
[5] The Global Fund, Results Report 2018 : 27 Million Lives Saved, 2018.
[6] The Global Fund, Results Report 2018 : 27 Million Lives Saved, 2018.
[7] OMS, Global polio eradication initiative applauds WHO African region for wild polio-free certification. News Release, 25 août 2020.
[8] UNESCO, EFA Global Monitoring Report 2015 – EDUCATION FOR ALL 2000–2015 : Achievements and Challenges, 2015.
[9] OCDE. Development Co-operation Profiles. Paris : Editions OCDE, 2021.
[10] KHAN T.S., Growing up : graduation from low-income to middle-income status, Blog de la Banque mondiale, 19 février 2015.
[11] Organisation des Nations Unies, LDC Portal - International Support Measures for Least Developed Countries, disonible sur : www.un.org/
[12] Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), Le développement économique en Afrique, Doublement de l’aide : Assurer la grande poussée, New York et Genève, Nations unies, 2006.
[13] World Bank Group. World Development Indicators, en ligne le 11 septembre 2024, 2024. (World Development Indicators | DataBank (worldbank.org))
[14] Groupe de la Banque mondiale, At a Crossroads : Reigniting efficient and inclusive growth. Botswana : systematic country diagnostic. Update, 2023.
[15] Organisation des Nations Unies. Financing for Sustainable Development Report 2021. New York : Nations Unies, 2021.
[16] OCDE, States of Fragility 2022, 2022, p. 68.
[17] CNCD-11.11.11, Rapport 2024 sur la Coopération belge au développement, septembre 2024.
[18] Office for National Statistics, Healthcare expenditure, UK Health Accounts : 2021, 2021.
[20] OCDE, Etats de fragilité, Paris : OECD Publishing, 2018.
[22] DGD, Rapport annuel de la DGD, 2023 : pour 2023, le chiffre affiché était de 148 millions EUR, sur un total d’APD de 2610 millions EUR la même année.
[23] OCDE. Development Co-operation Profiles. Paris : Editions OCDE, 2021.
[24] Fracture économique mondiale et évolution des schémas d’investissement | CNUCED (unctad.org).
[25] OCDE, States of fragility 2018, OECD Publishing, 2018, p. 257. En anglais dans le texte originel : « But for all fragile contexts, aid is the only flow that can catalyse reform and support resilient foundations that other flows can then reinforce and help build upon.”